Une aura indescriptible de calme et de bienveillance émane de tout son être. Hassan est médiateur culturel. Il est le premier visage que rencontrent les naufragés. Il les sait épuisés, effrayés. Un seul d’entre eux panique, et c’est la catastrophe. Hassan sera leur bouée. Explications de Anthony Jean, photographe à bord de l’Aquarius en avril dernier.
Une opération de sauvetage commence par un screening de l’état des gens à bord, des priorités d’évacuation, cela est réalisé par un membre de l’équipe médicale de Médecins Sans Frontières qui se trouve sur le canot de sauvetage n°1. Sur le canot de sauvetage n°2, il y a le médiateur culturel, « le premier contact » comme on l’appelle – ici sur la photo. Les médiateurs culturels sont les premiers yeux, les premiers regards échangés pour ces personnes épuisées et effrayées sur des embarcations de fortune perdues en pleine mer. Son travail consiste à nous présenter, à les calmer et à les évacuer en toute sécurité. Lui c’est Hassan, il a ce boulot dans le sang et a déjà vécu des centaines de scénarios. Il est conscient qu’ils sont perdus, épuisés, qu’ils ne savent pas qui nous sommes, que tout peut basculer en une seconde. Alors, il ne leur laisse pas le temps de paniquer, il occupe tout l’espace sonore et visuel. Il se présente, présente le « gros bateau orange », les rassure, leur explique toute la procédure avec l’évidence que tout va bien se passer et que tout le monde va être sauvé. Il calme les plus terrifiés et remet debout les plus faibles.
Entre deux voyages du canot de sauvetage n°1, il entame de grands discours, trouve toujours de quoi leur raconter, les questionne sur leur état, et leur capacité à comprendre leur place dans cette opération de sauvetage où chacun doit coopérer pour que tout se passe bien. Hassan a parlé quatre ou cinq langues différentes lors de cette opération de sauvetage, et pas une seule personne n’a été perdue… Il est d’ailleurs le seul à parler, nous autres avons consigne de nous taire, pour qu’il apparaisse comme le seul interlocuteur et ne surtout pas engendrer de confusion si le sauvetage devait se compliquer. Il apparaît alors comme une bouée, le guide qui connaît la consigne à suivre pour survivre : un sentiment de sécurité semble émaner de toute sa personne. Le professionnalisme d’un bon médiateur culturel réside dans cette capacité à garder cette aura paisible, d’arriver à la transmettre à tout le monde, pour assurer la sécurité de chacun et donc de tous. Hassan est de ceux-là.
De retour à bord, nous contemplons tout ces gens qui se réalisent sains et saufs, nous les voyons heureux d’être en vie à se prendre dans les bras. Entre nous, nous faisons de même, nous n’avons pas à nous dire grand chose, on sait ce qu’il vient de se passer, que tout s’est bien déroulé jusqu’à la prochaine fois. Une fois à bord du l’Aquarius, Hassan écoute leurs histoires sur les abus qu’ils ont subis lors de leurs voyages aux mains des trafiquants et des passeurs, y compris la torture, le viol, l’exploitation financière et le travail forcé. Il les écoute et les soutient jusqu’à un port sûr. Deux jours plus tard, nous nous dirigeons vers une embarcation en bois totalement instable avec 275 personnes à bord sur deux niveaux. Pour celui ci, Hassan prend un mégaphone. Quelques minutes avant le début des opérations je le revois comme à chaque fois s’asseoir immobile, fermer les yeux deux minutes, et se relever prêt pour une nouvelle opération de sauvetage.
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