Un an après « l’Odyssée forcée » vers Valence : rien ne nous fera renoncer
11 juin 2019

C’était il y a un an. En quelques secondes, un tweet venait de mettre à mal des décennies de solidarité maritime. Après plusieurs opérations de sauvetage difficiles qui ont duré près de 7h en pleine nuit, l’Aquarius, son équipage et les 630 rescapés (dont 123 mineurs non accompagnés) à son bord se voyaient contraints de couper les moteurs en pleine mer, entre Malte et l’Italie. Les autorités italiennes, après avoir coordonné six opérations de sauvetage entre leurs propres garde-côtes et l’Aquarius, avaient retiré leur autorisation à ce dernier de débarquer dans un port italien.

Très vite, journaux, télévisions, réseaux sociaux et radios du monde entier se sont emparés de cet événement inédit. A terre, une vague de solidarité a alors commencé à se former. Les questions fusaient : « qui pour accueillir ces 630 « migrants » ? », « comment l’Europe peut-elle laisser cela se dérouler à ses portes sans réagir en 2018 ? ». A bord, d’autres questions et d’autres peurs : « allez-vous nous faire repartir en Libye ? Si oui, je préfère sauter à l’eau ».

Plus de 36 heures d’attente avant que ne soit désigné un lieu sûr où débarquer les rescapés. Ce sera Valence en Espagne. Il faudra cependant 24 heures de plus pour s’assurer que cette longue route vers l’Espagne ne soit trop risquée pour les rescapés et l’équipage, d’autant plus qu’une tempête s’annonce. Comble de l’histoire : il faudra alors transférer plus de 500 personnes à bord de navires militaires italiens pour traverser la Méditerranée et enfin trouver refuge en Espagne, à 1500km de l’Italie. A l’arrivée, après 10 jours en mer, 800 journalistes internationaux, un millier de bénévoles, près de 500 traducteurs et des dizaines d’associations prenaient le relais alors que des citoyens ouvraient même leurs portes aux rescapés.

Dix jours auront suffi aux Etats européens pour confirmer leur mépris du droit maritime international de manière collégiale. On prône un mécanisme de débarquement prévisible et coordonné en Méditerranée tout en officialisant du jour au lendemain une coordination libyenne des opérations de recherche et sauvetage, financée par l’Union Européenne, au large de la Libye.

Résultats un an plus tard : le mécanisme de débarquement solidaire entre plusieurs Etats membres a connu quelques balbutiements prometteurs, mais la vraie réussite réside dans un mécanisme cynique de retours forcés et illégaux vers la Libye et les entraves aux navires d’ONG de sauvetage. Ces derniers ont tous connu le même sort, l’un après l’autre, à travers l’action de plusieurs Etats européens : bloqués en mer en attente de ports où débarquer, « dépavillonés »1, interdits de quitter le port, mis sous séquestre avec enquêtes ouvertes pour “trafic d’êtres humains”. Et régulièrement, les blocages administratifs et judiciaires se lèvent et les navires d’ONG sont libérés, faute de preuves.

En ce printemps 2019, le taux de mortalité explose, les naufrages s’accumulent. Les navires de l’opération européenne Sophia ont quitté la zone. Et l’on continue à compter, loin des caméras cette fois, les morts et les disparus. Alors que les conflits font rage, notamment à Tripoli en Libye, on continue sciemment à permettre le renvoi illégal de milliers de personnes vers l’insécurité, la torture, la détention illégale ou encore le travail forcé.

Alors, un an après l’odyssée forcée vers Valence et l’élan solidaire qu’elle a malgré elle suscité, nous, citoyens, continuons à nous informer, à nous indigner et à protéger le sauvetage en mer. Nous ne nous habituerons pas à ce vide abyssal laissé par les Etats en mer Méditerranée. Ensemble, citoyens et marins-sauveteurs, nous repartirons bientôt sauver des vies en mer !

 

CREDITS PHOTO : Karpov / SOS MEDITERRANEE

 


1 L’Aquarius a par exemple été « dépavilloné » deux fois en l’espace de deux mois : Gibraltar puis Panama lui ont retiré leur pavillon sous pression politique de certains Etats européens.