#15 L’ONU met en garde contre une moyenne de 3 décès par jour dans la Méditerranée centrale, tandis que le Conseil de l’Europe lance un “appel de détresse”

Cette publication de SOS MEDITERRANEE a pour but de faire le point sur les évènements qui se sont déroulés en Méditerranée centrale au cours des deux dernières semaines. Il ne s’agit pas de livrer une revue exhaustive des faits, mais plutôt de fournir des informations sur l’actualité de la recherche et du sauvetage dans la zone où nous opérons depuis 2016, sur la base de rapports publiés par différentes ONG et organisations internationales ainsi que par la presse internationale.

Le point sur la situation en mer

Au moins 39 personnes sont mortes suite au naufrage de deux bateaux au large de la Tunisie le 9 mars. Selon une déclaration commune de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et du HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés publiée à l’issue de ces événements tragiques, 134 personnes rescapées du premier naufrage et 70 du second naufrage ont été ramenées à terre par les garde-côtes tunisiens. Dans leur déclaration, les organisations des Nations Unies ont plaidé en faveur « d’opérations de recherche et de sauvetage proactives dans cette zone, qui est l’un des passages maritimes les plus dangereux au monde, et de la mise en place de procédures de débarquement claires et sûres pour les personnes secourues en mer. » Elles ont aussi souligné le fait que depuis le début de l’année, chaque jour près de trois personnes périssent en Méditerranée centrale. 

Le même jour (9 mars), les garde-côtes italiens et la Guardia di Finanza ont secouru 187 personnes à bord de trois embarcations au large de Lampedusa. La veille, un voilier transportant 112 personnes parties de Turquie  est arrivé de manière autonome dans la région des Pouilles.    

Trois corps ont été sortis de l’eau et ramenés en Libye les 10 et 11 mars, selon l’OIM Libye. Aucune interception et aucun retour forcé n’ont été rapportés par les organisations internationales présentes aux points de débarquement en Libye ces deux dernières semaines. Selon le Projet « Migrants disparus » de l’OIM, 232 personnes ont péri ou sont portées disparues en Méditerranée centrale depuis le début de l’année.   

Après une escale et une période d’auto-confinement de l’équipe, l’Ocean Viking et nos équipes de sauvetage, médicale et de soins aux personnes rescapées ont quitté le port de Marseille le 10 mars et pratiqué des entrainements en chemin vers la Méditerranée centrale. Le navire Open Arms de l’ONG Proactiva-Open Arms a quitté Barcelone en direction de la Méditerranée centrale le 14 mars.

Le Conseil de l’Europe lance un “appel de détresse” alors que les violations du droit international par procuration et la criminalisation des ONG par les États membres de l’Union Européenne restent la norme.

« Un appel de détresse pour les droits de l’homme. Des migrants de moins en moins protégés en Méditerranée », un important rapport de la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatovic, a été publié la semaine dernière. Ce rapport fait suite aux recommandations de la Commissaire en 2019 au sujet de la recherche et du sauvetage en mer, en mettant l’accent sur la Méditerranée centrale, présentant aussi un ensemble de mesures concrètes que les pays européens devraient prendre d’urgence pour « adopter une approche respectueuse des droits de l’homme face aux traversées de la Méditerranée ».

Nous considérons qu’il est essentiel de partager ici les conclusions frappantes de ce  bilan telles que partagées dans le communiqué de presse accompagnant ce rapport : « Le rapport souligne que, malgré quelques progrès limités, la situation en Méditerranée reste déplorable sur le plan des droits de l’homme. Les naufrages, qui continuent à se produire régulièrement, ont coûté la vie à plus de 2 400 personnes durant la période considérée, selon les chiffres officiels, qui pourraient être bien en deçà de la réalité. Le retrait progressif des navires d’État de la Méditerranée et les dispositions prises pour entraver les opérations de sauvetage des ONG, ainsi que les décisions visant à retarder les débarquements et l’absence de ports sûrs désignés, sont autant d’éléments qui portent atteinte à l’intégrité du système de recherche et de sauvetage. Les activités de coopération avec des pays tiers se sont intensifiées, en dépit de preuves irréfutables des graves violations des droits de l’homme qui y sont perpétrées, et sans mise en œuvre de garanties du respect des droits de l’homme ni application des principes de transparence et de responsabilité. « Le long de la route de la Méditerranée centrale, tout particulièrement, nombre de mesures prises récemment semblent viser à institutionnaliser une pratique consistant à laisser aux garde-côtes libyens la voie libre pour intercepter les personnes qui se trouvent en mer, ce qui a donné lieu à près de 20 000 retours en Libye, où les personnes sont exposées à de graves violations des droits de l’homme », écrit la Commissaire. La pandémie de covid-19 a par ailleurs entraîné l’adoption de mesures plus restrictives, ce qui a des répercussions négatives directes sur les droits des migrants. »

La Commissaire a présenté ce rapport à la Commission LIBE du Parlement européen (commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures) lundi 15 mars, lors d’un débat sur « les personnes en détresse en mer » en Méditerranée centrale. Le rôle des États membres dans la formation et le soutien aux garde-côtes libyens, comme la question des retours forcés illégaux et le manque de coordination SAR dans la zone libyenne de recherche et sauvetage depuis sa création officielle en 2018, sont des questions essentielles évoquées dans le rapport et, plus généralement, par les acteurs de la société civile. Lors d’une précédente commission LIBE réunie au début du mois (le 4 mars), le Directeur exécutif de Frontex (Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes) a déclaré que les avions de Frontex avaient l’obligation légale de se coordonner avec les autorités libyennes quand ils repéraient une embarcation en détresse, tout en admettant que ce n’était « pas une solution optimale » et que la situation humanitaire en Libye n’était « pas bonne ».  

Au même moment, dans une interview à Euronews le 25 février, Fabio Agostini, chef de l’Opération Irini destinée à mettre en place l’embargo sur les armes décidé par les Nations Unies à travers l’usage de moyens aériens, satellitaires et marins, a déclaré que les garde-côtes libyens devraient obtenir plus d’autonomie grâce à une formation renforcée afin de « stopper les migrations illégales ». Pour rappel, plus de 4 000 personnes (OIM) ont été interceptées en mer, la plupart par les garde-côtes libyens soutenus par l’UE, et ramenées de force en Libye –qui n’est pas un lieu sûr où les personnes rescapées devraient être débarquées selon le droit maritime- pour la seule année 2021. 

Plusieurs enquêtes lancées en Italie à l’encontre d’ONG et de particuliers menant des activités de recherche et de sauvetage en Méditerranée centrale il y a 3 à 4 ans ont été achevées, et des accusations d’« aide et d’encouragement à l’immigration illégale » ont été officiellement portées il y a quinze jours. Une nouvelle enquête a été lancée simultanément contre l’armateur du Mare Jonio (de l’ONG Mediterranea), après que son navire ait mis fin l’été dernier au blocage le plus long de l’histoire maritime européenne récente (37 jours d’immobilisation au large de Malte, sans solution de débarquement en vue pour 27 personnes rescapées à bord du navire de commerce Maersk Etienne). La compagnie maritime Maersk a publié une déclaration dans laquelle elle soutient fermement l’ONG sur cette question.

Crédit photo : Anthony Jean / SOS MEDITERRANEE