Laurence Bondard est chargée de communication à bord de l’Ocean Viking pour SOS MEDITERRANEE. Elle était à bord en septembre 2021, lorsque les équipes de notre navire ont secouru 129 personnes sur quatre embarcations en bois en détresse. Elle revient sur le cliché le plus marquant de cette mission.
J’ai été profondément émue lorsque j’ai vu cet enfant, Sidiki, dessiner sous l’œil bienveillant de Justine, membre de l’équipe de sauvetage de SOS MEDITERRANEE. Quand il est arrivé à bord de l’Ocean Viking, Sidiki semblait renfermé sur lui-même. Il ne souriait pas. Il parlait à peine, et quand il le faisait, c’était seulement en chuchotant. Il m’a fallu plusieurs séances de jeu avec lui avant de réaliser que nous parlions français tous les deux. Il observait tout et tout le monde avec un regard inquiet et profond.
Lorsque nous avons rencontré ce garçon de 11 ans, il venait d’être sauvé d’une mort imminente. Il se trouvait sur une embarcation de fortune, au milieu de la mer Méditerranée, avec 24 autres personnes. Elles risquaient d’être englouties par la mer à tout moment. Elles étaient dans une situation inimaginable. Même après en avoir été témoin soi-même, cela semble irréel. Pourtant, il était là, apparaissant entre deux vagues, aux côtés de son frère aîné et d’autres personnes, toutes poussées par leur seul espoir de survivre à « l’enfer ». De fuir la Libye. On peut craindre qu’il ait été témoin de violences et de maltraitances terribles, s’il n’en a pas été lui-même victime.
Pourtant, à bord de l’Ocean Viking, il a commencé à s’ouvrir. Peu à peu, il s’est mis à jouer. Tout seul au début. Puis avec d’autres adultes autour de lui. Et finalement avec d’autres enfants secourus depuis d’autres fragiles embarcations. Après quelques jours, il a osé parler et être entendu. Il a commencé à poser des questions, à exprimer des désirs. À sourire. Une fois par jour, puis deux fois par jour, et enfin de nombreuses fois, chaque jour.
L’observer s’exprimer sur ce tableau noir était magnifique. Le voir dessiner une maison, c’était autre chose encore. Pour moi, il ne dessinait pas une maison comme le fait n’importe quel enfant, là d’où je viens. Comme je le faisais à son âge. Il m’a semblé qu’il dessinait des murs solides, et un toit robuste. Une maison avec des lits confortables. Pour moi, cela symbolisait son besoin vital de sécurité. Une quête de refuge, comme un écho à l’inscription visible sur le t-shirt de ma collègue : « Recherche ».
Nous recherchons pour secourir. Sidiki recherche la protection. Une quête qui l’a mené, comme les 128 autres personnes secourues entre le 18 et le 19 septembre, à courir le risque de disparaître en haute mer, sans aucun témoin. On sait qu’au moins 1 300 femmes, enfants et hommes ont péri en Méditerranée depuis le début de l’année. Plus de 22 000 depuis 2014. Sidiki n’est pas l’un d’eux. Il demeure un enfant, émouvant, en mouvement.
Photo : Laurence Bondard / SOS MEDITERRANEE