Déclaration de Sophie Beau, co-fondatrice et vice Présidente de SOS MEDITERRANEE, après la rencontre à Paris le 2 juillet des ministres de l’Intérieur de France, d’Allemagne et d’Italie ainsi que le Commissaire européen en charge des migrations et des affaires intérieures.
« SOS MEDITERRANEE s’étonne que la première réponse proposée par les responsables européens pour faire face à une crise humanitaire majeure, soit d’élaborer un « Code de Conduite pour les ONG ».
Alors même que SOS MEDITERRANEE et les autres ONG ont mis en place des moyens professionnels pour pallier à la défaillance des Etats européens manquant à leur devoir de sauver des milliers de vies en perdition en Méditerranée, ce projet relève plus d’une instrumentalisation à l’encontre des ONG, dans la continuité des polémiques précédemment développées en Italie.
Convaincues qu’une meilleure coordination des opérations permet de sauver le maximum de vies en mer, plusieurs ONG présentes en Méditerranée Centrale, dont SOS MEDITERRANEE, ont déjà spontanément élaboré un code de conduite volontaire, sous l’égide d’organisations de sauvetage en mer mondialement reconnues.
Que faut-il penser de ce manque total de réponse européenne face aux besoins humanitaires, lorsqu’ils ignorent depuis des années les appels à l’aide de dizaines de milliers de personnes, hommes, femmes et enfants qui se noient en Méditerranée; lorsqu’ils jettent avec de telles déclarations le discrédit sur les organisations humanitaires européennes issues de la société civile; lorsqu’ils préfèrent externaliser le contrôle des frontières extérieures de l’Europe en l’abandonnant aux mains d’un pays, la Libye, en proie au chaos et où les droits fondamentaux des personnes sont quotidiennement violés?
Il apparaît en revanche acceptable de financer un corps de « garde-côtes libyens » dont la collusion avec les réseaux de trafic d’être humains a été dénoncée par un récent rapport du conseil de sécurité de l’ONU ?
L’anarchie ne se situe pas dans les opérations de secours en Méditerranée, l’anarchie se situe en Libye, pays sans structures étatiques dignes de ce nom, où prolifère un trafic d’êtres humains à grande échelle, maintes fois dénoncé.
Faut-il rappeler que l’intervention d’hommes armés se présentant comme des “garde-côtes libyens” pendant des opérations de sauvetages dans les eaux internationales a mis à plusieurs reprises en danger la vie des personnes en détresse et la sécurité des équipages de volontaires européens de SOS MEDITERRANEE et d’autres ONG, mais aussi ceux des navires de Frontex et des garde-côtes italiens comme l’a rapporté la presse italienne récemment?
Faut-il aussi rappeler que les opérations de sauvetage en mer, tout particulièrement dans cette zone au large de la Libye, sont déjà coordonnées par le centre de coordination des secours maritime (MRCC) de Rome, conformément à la loi maritime internationale ?
Le professionnalisme et l’irréprochabilité des équipes de SOS MEDITERRANEE qui ont sauvé plus de 20.000 vies en 16 mois d’opérations viennent d’être reconnus par l’UNESCO, agence de l’ONU, en leur décernant le prix Houphouët Boigny pour la Recherche de la Paix. Leur action est également saluée au quotidien par tous les acteurs impliqués quotidiennement dans les opérations de sauvetage en mer, au large des côtes libyennes, au même titre que l’action des garde-côtes italiens qui coordonnent chaque jour des opérations de sauvetage impliquant tous les navires humanitaires, commerciaux, militaires ou de Frontex présents en Méditerranée Centrale, permettant de sauver des centaines de milliers de vies en mer ces dernières années.
SOS MEDITERRANEE ne peut donc que reformuler son scepticisme déjà exprimé dans un message au Conseil Européen : comment l’Europe pourra-t-elle justifier aux yeux de ses contribuables et de ses citoyens l’allocation de ressources financières supplémentaires à un corps de garde-côtes armés dépendant d’un Etat sans structures dignes de ce nom, ne garantissant pas le respect des droits fondamentaux des personnes?
Les ONG comme SOS MEDITERRANEE, qui est financée à 98% par des dons privés, doivent en revanche s’en remettre à la générosité et aux sens des responsabilités de la société civile pour affréter leurs bateaux et aller sauver des vies en mer.
Enfin, en prévoyant de “fournir un soutien additionnel à l’OIM et au HCR pour permettre que les infrastructures en Libye atteignent les standards internationaux en termes de conditions de vie et de droits de l’Homme”, comme indiqué dans le communiqué de presse final, les autorités européennes confirment que les standards internationaux ne sont aujourd’hui pas respectés en Libye.
En externalisant le contrôle des frontières à la Libye, les responsables européens ne peuvent donc pas ne pas savoir qu’ils se rendent ainsi complices de multiples violations des droits de l’Homme et du droit international.
Nous appelons de nos voeux une politique ambitieuse des Etats ainsi que la mise en œuvre de réelles solutions, pérennes, respectueuses des droits humains et du devoir d’assistance humanitaire.
La Méditerranée est la ligne de front d’une crise humanitaire majeure, une crise face à laquelle les organisations civiles, comme la nôtre, n’ont d’autre choix que d’intervenir pour aller sauver des vies ».