Marseille, Berlin, Genève, Milan, 31 janvier 2020
Le 3 février 2017, les gouvernements européens signaient la déclaration de Malte, qui ouvrait la voie à un transfert de responsabilité vers les garde-côtes libyens en Méditerranée centrale. Une zone de recherche et de sauvetage et un centre de coordination des secours libyens ont été créés en 2018 et financés par l’Europe. Alors que les autorités maritimes italiennes assumaient auparavant la responsabilité de la coordination des cas de détresse dans les eaux internationales de la Méditerranée centrale, celle-ci incombe désormais aux garde-côtes libyens.
« Les fondements d’une grave violation du droit international »
Depuis lors, SOS MEDITERRANEE a été témoin à de nombreuses reprises de la façon dont les garde-côtes libyens ont intercepté en haute mer et renvoyé de force des rescapés vers la Libye. De plus, lorsqu’un navire effectue un sauvetage dans cette zone, le Centre de coordination des secours de Tripoli ordonne de ramener les rescapés sur les côtes libyennes, bien que le droit maritime et international exige strictement qu’ils soient débarqués dans un « lieu sûr » – ce que la Libye n’est pas. En outre, SOS MEDITERRANEE a observé plusieurs fois les garde-côtes libyens agir de manière imprévisible et peu fiable, mettant en danger des vies humaines.
« Avec la déclaration de Malte, l’Union européenne a jeté les fondements d’une grave violation du droit international, financée par les contribuables européens », résume Sophie Beau, directrice générale de SOS MEDITERRANEE France.
« L’Union Européenne doit défendre ses valeurs et mettre en place d’urgence une opération de sauvetage en mer digne de ce nom, qui respecte le droit maritime et permette de sauver des vies en mer », réclame la cofondatrice de l’association européenne de sauvetage en mer.
Selon l’Institut d’études politiques internationales italien[1], environ 39 000 personnes ont été ramenées en Libye entre mars 2017 et aujourd’hui. Par rapport au nombre total d’arrivées en Italie et à Malte qui n’ont cessé de baisser au cours des dernières années, la part des personnes interceptées et renvoyées illégalement a considérablement augmenté.
« Alors que l’Union européenne s’est désengagée du sauvetage en mer ces dernières années, elle a simultanément financé, formé et équipé les garde-côtes libyens pour intercepter les personnes fuyant le pays. Elles sont ramenées de force dans le cycle des violences et des abus en Libye, un pays déchiré par la guerre. Les personnes que nous secourons rapportent inlassablement aux équipes à bord de l’Ocean Viking, les tortures, le viol, l’esclavage et même les exécutions subies en Libye. La plupart des rescapés sont blessés ou traumatisés. L’un des éléments centraux de cette politique inhumaine est la déclaration de Malte signée par les chefs d’État européens en février 2017 », poursuit Sophie Beau.
Manque total de coordination des sauvetages en Méditerranée centrale
SOS MEDITERRANEE a lancé ses opérations de sauvetage en 2016, d’abord avec le navire Aquarius, puis avec l’Ocean Viking depuis août 2019. Nos équipes ont été impliquées dans de nombreux cas de détresse dans lesquels les garde-côtes libyens ne répondent pas aux appels et e-mails requérant leur coordination ; par ailleurs ils ne transmettent pas les informations vitales nécessaires aux navires engagés dans des opérations de recherche et de sauvetage, tels que l’Ocean Viking.
Le HCR[2] rapporte qu’il y a quelques jours, plus de 500 personnes étaient en détresse en mer Méditerranée centrale, nécessitant des secours urgents. Aucune autorité n’a pu coordonner les sauvetages. Alors que l’Ocean Viking a effectué cinq sauvetages consécutifs en moins de 72 heures, la garde côtière libyenne a reconnu son manque de capacité pour lancer une opération.
« Les événements de ce week-end ont une fois de plus montré le manque total de coordination pour les quelques navires prêts à apporter leur aide, comme tous sont tenus de le faire. Les chances de retrouver un bateau en détresse sans instructions ni informations de la part des autorités compétentes sont très minces. Dimanche 26 janvier, nous avons répondu à deux alertes sur des positions éloignées de 120 milles nautiques. Il y avait déjà 223 rescapés à bord, après trois sauvetages difficiles menés de nuit. Même si tous les navires de la zone ont été alertés, nous savions que les personnes en détresse sur ces embarcations étaient très peu susceptibles d’être secourues sans notre intervention. Par chance et grâce au professionnalisme des équipes, nous avons pu finalement secourir 407 personnes et les mettre en sécurité à bord de l’Ocean Viking.
Tant que la situation reste chaotique en Libye, des personnes continueront de tenter la traversée périlleuse de Méditerranée afin de fuir les violences et abus systématiques. Sans un effort coordonné pour accroître les capacités de recherche et de sauvetage, conformément au principe de solidarité entre les États membres de l’UE, nous craignons pour leur vie », déclare Fabienne Lassalle, directrice générale adjointe de SOS MEDITERRANEE.
« Pour combien de temps encore l’Union européenne habilitera-t-elle et financera-t-elle les garde-côtes libyens ? Nous parlons de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants qui meurent en mer tandis que les États de l’UE continuent de financer un centre de coordination maritime libyen incapable de remplir un tel mandat ni d’offrir un lieu sûr. Ramener des naufragés vers un endroit où ils sont en danger, et demander à d’autres navires de faire de même est une violation du droit international et maritime », conclut Sophie Beau, directrice de SOS MEDITERRANEE France.
SOS MEDITERRANEE rappelle le besoin immédiat d’une coordination des sauvetages efficace par les autorités maritimes. Elle exhorte les Etats de l’Union européenne à reprendre une opération dédiée à la recherche et au sauvetage. La première priorité des politiques européennes doit être, avant toute autre considération, de faire en sorte que des vies soient sauvées en Méditerranée centrale.
Crédits photo : Julia Schaefermeyer / SOS MEDITERRANEE