Richard, responsable Croix-Rouge de l’accueil des personnes rescapées à bord : « Une question de vie ou de mort. »
15 décembre 2021

En charge de l’accueil des rescapé.e.s, Richard faisait partie de la toute première mission de sauvetage de SOS MEDITERRANEE en mars 2016, sur l’Aquarius. Cinq ans plus tard, le voilà de retour à bord de l’Ocean Viking, au sein de l’équipe de la FICR. 

Après plusieurs semaines passées à bord, Richard observe de nombreuses évolutions : professionnalisation des techniques de sauvetage, amélioration des équipements, progrès dans la prise en charge des rescapé.e.s… Ces cinq dernières années, les équipes de SOS MEDITERRANEE et de ses partenaires médicaux ont beaucoup appris, évolué, construit ensemble. Elles se sont professionnalisées, dans un contexte d’intervention qui, lui, s’est complexifié. Richard nous raconte ce qui a changé à bord et pourquoi la professionnalisation des opérations en mer est cruciale dans un contexte de crise humanitaire en Méditerranée centrale.

Ancien marin de la marine militaire, devenu un professionnel de l’humanitaire il y a plus de 30 ans, Richard a connu de nombreux terrains difficiles : Bosnie, Afghanistan, Rwanda, Haïti, Syrie… S’il a décidé de retourner en mer avec la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge  (FICR), aux côtés de SOS MEDITERRANEE, c’est pour retrouver ce sentiment de prendre part à « une mission d’exception » : « J’ai décidé d’embarquer sur l’Ocean Viking parce que j’estime avoir des compétences utiles, et que j’aime la mer et les terrains d’opérations complexes et intenses », explique-t-il alors qu’il se prépare, avec plus d’une vingtaine d’autres membres de l’équipe, à repartir pour sa troisième mission en Méditerranée centrale.

« Dans les missions humanitaires que je fais habituellement, j’ai rarement l’occasion de sauver des vies de façon aussi immédiate. En mer, l’urgence temporelle est cruciale, notre mission est littéralement une question de vie ou de mort. En plus, on part à la rencontre d’une détresse sans savoir où elle se trouve. On peut se retrouver face à des embarcations de fortune avec plusieurs centaines de personnes entassées les unes sur les autres ou encore face à des conditions météo extrêmes. Tout peut basculer à tout moment. Cette mission de sauvetage en mer est d’une intensité unique.

Quels changements observes-tu entre ta première mission en 2016 et ta seconde en 2021 ?

Sur la première rotation de l’Aquarius, tout était à construire. Des citoyen.ne.s de tous horizons se sont improvisé.e.s marins-sauveteur.se.s il y a cinq ans, face à une urgence humanitaire majeure. Réuni.e.s par SOS MEDITERRANEE et son partenaire de l’époque, Médecins du Monde, nous ne savions pas exactement à quoi nous attendre. À l’époque, nous n’avions pas de procédures de sauvetage préétablies. De même pour l’accueil et la prise en charge des rescapé.e.s. Nous avons appris par un système d’essai-erreur. L’effectif des équipes était également plus réduit qu’aujourd’hui. 

Avec le recul, on se rend compte que les équipements de sauvetage n’étaient pas non plus complètement adaptés aux besoins rencontrés en mer. Les situations de détresse étaient encore plus critiques que tout ce que nous pouvions imaginer. C’est également vrai pour la prise en charge des personnes à la suite de leur sauvetage. Le fait de porter assistance à des personnes en détresse en pleine mer, sans accès à des sites de réapprovisionnement, implique d’anticiper leurs besoins, et donc les nôtres, pour pouvoir les prendre en charge dans l’espace restreint qu’est le bateau.

« En cinq ans, le savoir-faire et la compréhension des risques et défis se sont considérablement développés. »

Les équipes ont pris conscience du caractère unique de ce contexte opérationnel au fur et à mesure. En matière de prise en charge des rescapé.e.s par exemple, je suis le premier à avoir proposé de donner un bracelet numéroté à chaque rescapé pour pouvoir compter le nombre de personnes à bord et de suivre les cas médicaux en conservant l’anonymat, comme dans les hôpitaux. A l’époque, j’étais tout seul sur le pont pour enregistrer des dizaines voire une centaine de personnes, face au vent et aux vagues. Nous avions improvisé en utilisant des bracelets faits à partir de rubalise [ndlr: ruban de chantier] et des marqueurs. Aujourd’hui, nous avons des bracelets prévus à cet effet. Cette anecdote est un exemple parmi tant d’autres. Un autre exemple qui me marque particulièrement est l’amélioration des canots de sauvetage (RHIB) que nous avons aujourd’hui à bord de l’Ocean Viking. Ils sont beaucoup plus solides et adaptés que ceux avec lesquels nous avons démarré en 2016.

Les profils des marins-sauveteurs ont aussi beaucoup évolué. Aux débuts de l’Aquarius, les membres des équipes de sauvetage avaient des profils variés, pas toujours liés au milieu maritime. Aujourd’hui, les marins-sauveteur.se.s sont non seulement des professionnel.le.s de la mer, mais ils sont en outre spécifiquement formé.e.s au sauvetage de masse par les ancien.ne.s de SOS MEDITERRANEE. En cinq ans, le savoir-faire et la compréhension des risques et défis se sont considérablement développés.
 

En quoi cette professionnalisation des équipes a-t-elle modifié les opérations de sauvetage et la prise en charge des personnes secourues en mer ?

La charge de travail sur l’Ocean Viking est beaucoup plus élevée que sur l’Aquarius dans mon souvenir. Nous travaillions déjà beaucoup il y a cinq ans, mais aujourd’hui nous avons beaucoup plus d’entraînements théoriques et pratiques. lls sont extrêmement rigoureux et exhaustifs sur les stratégies de sauvetage. Les gestes sont plus précis, travaillés, répétés et connus de tou.te.s, ce qui est une évolution majeure en soi. Les équipes de la FICR et de SOS MEDITERRANEE se préparent ensemble à de nombreux types de scénarios différents.

Tout cela améliore considérablement l’efficacité des opérations de sauvetage et contribue donc à diminuer le risque de perte de vies humaines dans un contexte difficile et dangereux, auquel on était moins préparé.e.s à l’époque. Cela améliore aussi la façon dont nous nous occupons des personnes rescapées une fois à bord de l’Ocean Viking. Nous avons une meilleure connaissance et approche des besoins tant primaires que des besoins en termes de soutien médical et psychologique.
 

As-tu également constaté une évolution en ce qui concerne les personnes secourues, et/ou dans le contexte des opérations ?

Je ne constate pas particulièrement d’évolution entre 2016 et aujourd’hui en ce qui concerne les personnes secourues. La démographie des populations, les raisons de leur départ, les témoignages sur les violences subies en Libye sont similaires à ce que j’ai vu et entendu il y a cinq ans. En revanche, le contexte dans lequel l’Ocean Viking opère s’est considérablement complexifié. Il est devenu difficile de débarquer les personnes naufragées dans un lieu sûr. Or, cette prolongation de leur séjour à bord de l’Ocean Viking a des conséquences graves et immédiates sur leur état de santé physique et mental. Cela fait, en outre, perdre du temps opérationnel. Chaque blocage, chaque semaine passée à attendre l’autorisation de débarquer dans un lieu sûr est autant de temps que nous ne passons pas à patrouiller. Cela entraîne nécessairement une diminution drastique et dramatique des capacités de sauvetage. Cela s’est fatalement empiré avec l’émergence de la Covid-19. Les États côtiers ont besoin de soutien des autres États membres européens. Laisser des personnes en détresse en mer mourir seules, sans témoin, ou être renvoyées de force en Libye ne peut pas être la solution.

Photo : DR / FICR