Médical – Dans les coulisses de la clinique de l’Ocean Viking avec Christine, infirmière à bord
17 juillet 2021

Christine a passé sept semaines à bord de l’Ocean Viking en tant que responsable de l’équipe médicale en janvier et février 2021. En plus de devoir appliquer les protocoles stricts liés à la COVID-19 à bord, Christine et son équipe – une médecin, une sage-femme et une autre infirmière – ont dû prodiguer des soins médicaux aux personnes rescapées. Suivez-la au cœur de l’action de l’équipe médicale de SOS MEDITERRANEE.

Des besoins de soins multiples

« Beaucoup de personnes rescapées sont profondément épuisées immédiatement après leur sauvetage. Certaines ont inhalé des vapeurs de carburant, ce qui peut entraîner une certaine confusion. Plus elles ont passé de temps sur ces embarcations de fortune, plus elles encourent de risques : déshydratation en raison du peu d’eau potable absorbé ; hypothermie due à l’humidité et au froid en mer ; (mais aussi) brûlures causées par la surexposition au soleil… En outre, les soins médicaux en Libye sont insuffisants et nous devons régulièrement traiter de graves blessures, tant physiques que psychologiques. De nombreuses femmes ont été violées. Certaines arrivent enceintes à bord de notre navire de sauvetage.

Après un sauvetage, une fois que les rescapé.e.s sont sur le pont, notre travail consiste à identifier les personnes qui exigent une prise en charge médicale immédiate. Est-ce cette femme lourdement marquée par le viol qu’elle a subi, enceinte de son agresseur ? Ou ce petit garçon qui vomit sans cesse ? Ou encore ce jeune homme de 18 ans dont la jambe est déformée par une fracture non soignée et dont la seconde jambe porte des cicatrices de torture ?

Notre cabinet médical est très bien équipé et nous pouvons donc traiter les problèmes de santé sévères tels que la pneumonie, la déshydratation ou les plaies infectées. Nous avons suffisamment d’antibiotiques et d’analgésiques (1) à bord, les médicaments les plus importants. La clinique dispose de quelques lits, de sorte que les personnes peuvent également passer la nuit en observation. Et si une situation nécessite un suivi intensif, nous demandons une évacuation médicale. Au cours des deux missions auxquelles j’ai participé, il y a eu deux évacuations d’urgence de femmes présentant une grossesse à haut risque.
 

Covid et promiscuité à bord

Avec plusieurs centaines de personnes à bord, il est difficile de maintenir une distance suffisante. Mais les rescapé.e.s portent des masques médicaux et sont invité.e.s à se laver les mains régulièrement. Les abris sont ouverts, ils sont donc ventilés en permanence, et pendant la journée, les gens sont surtout sur le pont, à l’extérieur. Les membres de l’équipe portent des vêtements de protection, souvent avec des lunettes ou une visière, et toujours avec un masque FFP2 bien ajusté.

Nous avons des tests antigéniques à bord et nous testons les personnes présentant des symptômes de la COVID-19. Lors de la dernière mission de sauvetage, nous avons détecté chez plusieurs rescapé.e.s une infection au coronavirus et ils ont aussitôt été mis à l’isolement. Nous avons aménagé des espaces qui permettent l’isolement, mais évidemment pas pour un nombre très élevé de personnes touchées. Après chaque sauvetage, nous demandons immédiatement un lieu sûr : lorsqu’il y a des cas de COVID-19 à bord, l’urgence de débarquer est évidemment encore plus pressante.

[Malgré le port de combinaisons, de masques et de visières, qui pourraient entraver les relations avec les personnes que nous secourons,] les gens comprennent rapidement que nous agissons dans leur intérêt. Ils se rendent compte que nous assurons leur survie et que nous n’allons pas les ramener en Libye, mais plutôt dans un lieu sûr. Notre équipe les informe et les rassure immédiatement à ce sujet. Bien sûr, nous ne savons pas dans quelle mesure la confiance va se développer les jours suivants. C’est souvent suffisant pour qu’ils nous racontent comment ils se sont échappés de Libye, ou qu’ils nous demandent une aide médicale.

« L’idée que nous contribuons tout.e.s à financer les garde-côtes libyens qui obligent les personnes à retourner dans ces camps inhumains dont ils viennent de s’échapper me fait profondément honte. »

[Lors de mes missions, le temps passé avec les rescapé.e.s à bord était trop court pour établir un véritable lien. Mais je garderai toujours en mémoire ce Soudanais gravement blessé à la tête après avoir été battu en Libye. Malgré sa situation difficile, il semblait calme, mais aussi reconnaissant d’avoir reçu des soins pendant ces quelques jours. Je crains qu’il n’ait encore un long chemin à parcourir.

Pour moi, apporter une aide d’urgence signifie aider un autre être humain à survivre; le sauvetage en mer le fait d’une manière si directe et concrète que j’en ai le souffle coupé. Mais la peur de « l’étranger » conduit inévitablement à bafouer les droits humains et à minimiser l’importance de ces vies humaines. L’idée que nous contribuons tout.e.s à financer les garde-côtes libyens qui obligent les personnes à retourner dans ces camps inhumains dont ils viennent de s’échapper me fait profondément honte. Cela me donne la force d’agir contre cette injustice, et j’espère que c’est le cas de beaucoup d’autres. »
 

1. Médicament contre la douleur
 

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