#6 Après une augmentation dramatique du nombre de morts, des marins-sauveteurs empêchent de justesse un naufrage – première présence humanitaire en mer depuis des mois.

Cette publication de SOS MEDITERRANEE a pour but de faire le point sur les évènements qui se sont déroulés en Méditerranée centrale au cours des deux dernières semaines, soit du mardi 27 octobre au mardi 10 novembre. Il ne s’agit pas de livrer une revue exhaustive des faits, mais plutôt de fournir des informations sur l’actualité de la recherche et du sauvetage dans la zone où nous opérons depuis 2016, sur la base de rapports publiés par différentes ONG et organisations internationales ainsi que par la presse internationale.

  • Plus de 11 000 personnes ont été ramenées de force en Libye depuis le début de l’année, soit plus que pour toute l’année 2019.

Un tragique naufrage s’est produit au large des côtes libyennes le 10 novembre. Au moins 13 personnes sont portées disparues, dont trois femmes et un enfant, après que leur embarcation ait chaviré et qu’un corps ait été retrouvé. Selon le personnel de l’Organisation internationale des migrations (OIM), 11 survivant.e.s ont été renvoyé.e.s en Libye par les garde-côtes libyens. 

Depuis janvier, plus de 11 000 personnes qui tentaient de fuir la Libye ont été interceptées en mer et renvoyées de force dans ce pays, selon l’OIM. C’est plus que le total des personnes interceptées et renvoyées en 2019 (9 225)

Rien que pour ces deux dernières semaines, l’OIM fait état de l’interception et du retour forcé de 1 400 femmes, hommes et enfants dont près d’un millier ont été interceptés au cours des trois premiers jours de novembre.

En l’absence d’actions concrètes de la part des États en matière de recherche et de sauvetage, de débarquement sûr et prévisible et de solidarité, davantage de personnes sont renvoyées à l’exploitation et mauvais traitements“, déclare Federico Soda, chef de mission pour l’OIM en Libye.

Trois nouveaux corps ont été repêchés au large des côtes libyennes le 9 novembre, selon l’OIM et un autre cadavre a été retrouvé le 30 octobre.

  • A son retour, l’Open Arms effectue un sauvetage en Méditerranée centrale : une présence essentielle face au blocage de 7 navires de recherche et sauvetage 

Le navire Open Arms de l’ONG Proactiva-Open Arms a quitté le port de Barcelone afin de reprendre sa mission de sauvetage en Méditerranée centrale le 4 novembre. Six jours plus tard, le navire a porté secours à 88 personnes, dont deux femmes enceintes, à bord d’un canot pneumatique partiellement dégonflé en détresse. La veille, l’équipage avait recherché en vain un canot pneumatique en détresse signalé à la dérive avec environ 60 personnes à bord. L’équipage a appris que les garde-côtes libyens l’avaient intercepté avant qu’il n’atteigne la dernière position connue de l’embarcation en détresse. L’équipage a aussi trouvé une embarcation en bois en train de couler, sans personne à bord, et un sac à dos flottant sur la mer.    

Sept bateaux d’ONG opérant habituellement en Méditerranée centrale (Alan Kurdi, Sea Watch 3, Sea Watch 4, Mare Jonio, Ocean Viking, Louise Michel, Aita Mari) sont toujours immobilisés en raison de blocages administratifs. Fin octobre, pour la troisième fois depuis le 14 septembre, deux des membres de l’équipage de l’ONG Mediterranea Saving Humans  se sont vu refuser d’embarquer sur le Mare Jonio par les autorités portuaires italiennes à Augusta, en Sicile. De fait, cette décision empêche le navire d’accomplir ses missions de sauvetage en Méditerranée centrale.

Dans ce contexte, la présence de l’Open Arms est fondamentale pour que la société civile européenne continue de sauver des vies humaines, témoigner, informer et être informée de ce qui se passe dans la vaste zone située au large de la Libye.

  • La justice italienne rejette la demande de poursuite contre des membres de l’équipage de l’Open Arms

Le jour même du retour en mer de l’Open Arms, deux membres de l’ONG espagnole – l’ancien commandant et le chef de mission -, ont été blanchis des accusations d’aide et d’incitation à l’immigration illégale et de violence privée par la Cour de Ragusa, en Italie. Après une audience préliminaire, la cour a décidé “de ne pas procéder” à une enquête, considérant qu’il n’existait aucun élément valable constituant le crime de violence privée. Elle a aussi statué sur le fait que le crime d’aider et d’inciter à l’immigration illégale n’était pas punissable en vertu d’un “état de nécessité”. Les deux membres de Proactiva-Open Arms avaient été inculpés en mars 2018 à la suite d’une opération de sauvetage de 218 personnes menée sous la coordination des autorités italiennes. L’équipage avait refusé de suivre les instructions autorisant les garde-côtes libyens à prendre en charge la poursuite du sauvetage, mettant en avant le fait que la Libye n’est pas un lieu sûr.

Cette décision est un signe encourageant pour les sauveteur.euse.s de l’Open Arms, mais aussi pour une plus large reconnaissance de l’inconditionnalité des principes du droit maritime et du devoir de sauver des vies en mer.  
 

  • Un dramatique naufrage évité de peu au large de Lampedusa, alors que les traversées à haut risque continuent en Méditerranée centrale

Depuis notre précédente édition de “Regards sur la Méditerranée centrale”, près de 3000 personnes sont arrivées en Italie par la mer, selon les chiffres de l’UNCHR. Un afflux d’arrivées à Lampedusa a été observé au début du mois, avec le débarquement de près de 2 000 personnes sur l’île italienne entre le 1er et le 6 novembre. Un dramatique naufrage a été évité de peu le 4 novembre, lorsqu’un canot pneumatique transportant une centaine de personnes, dont des femmes et des enfants, a heurté un rocher à son arrivée. 

A la suite de ces arrivées, le centre d’accueil de Lampedusa a largement dépassé sa capacité maximum de 192 places, accueillant jusqu’à 1350 personnes ces deux dernières semaines. Ces derniers jours, près de 900 personnes rescapées ont été transférées à bord de deux navires de quarantaine, l’Allegra et le Rhapsody. Avant ces transferts, le dernier week-end d’octobre, 9 personnes se seraient blessées volontairement à bord du navire de quarantaine Rhapsody en avalant des lames de rasoir et des éclats de verre, selon le journaliste italien Sergio Scandura et le media local Fanpage. Elles ont été évacuées vers des hôpitaux de Palerme.

Sur l’autre rive de la Méditerranée centrale, au moins 172 personnes ont été secourues par les garde-côtes tunisiens ces deux dernières semaines. 28 d’entre elles ont été repêchées au large de Kerkennah le 7 novembre, indique l’agence de presse française AFP. Quatre jours plus tôt, selon le témoignage d’un parlementaire tunisien, les garde-côtes ont secouru 31 personnes à bord d’une embarcation partie de Libye. Le 26 octobre, un terrible naufrage a été évité au large de Sfax grâce à la marine et aux garde-côtes tunisiens qui ont sauvé 113 personnes, dont 9 enfants, alors que leur embarcation se remplissait d’eau, selon un média local.

  • Action en justice engagée par les survivant.e.s de la « tragédie d’avril »

Cinquante personnes renvoyées en Libye au mois d’avril, et deux familles de personnes décédées en mer, ont engagé une procédure constitutionnelle contre le gouvernement de Malte, demandant justice pour ce qu’elles considèrent comme un sauvetage tardif et un refoulement, le tout coordonné par les forces armées maltaises. Dans cette démarche soutenue par l’organisation maltaise de défense des droits civils Repubblika, elles affirment que 50 des plaignant.e.s se trouvaient à bord d’une embarcation en détresse localisée par un avion de Frontex dans la région de recherche et de sauvetage maltaise trois jours avant que les autorités de Malte envoient le bateau de pêche privé  “Dar As-Salam” à leur secours ; entretemps, plusieurs personnes étaient décédées. Les survivant.e.s avaient été ramené.e.s en Libye. Selon le Times of Malta, la procédure fait état de plusieurs violations des droits humains, notamment des traitements inhumains et dégradants, une expulsion collective, ainsi que des violations du droit à la vie et du droit de demander asile.    

  • Augmentation des tentatives de traversée sur la route de l’Atlantique entre l’Afrique de l’Ouest et l’Espagne. Plus de 200 personnes mortes ou disparues.

Lors de notre précédente édition de “Regards sur la Méditerranée centrale”, nous faisons le point sur les derniers événements survenus en Méditerranée occidentale et sur la route de l’Atlantique. 

Or pour le seul week-end dernier, près de 2000 personnes ont atteint les îles Canaries à bord de 40 embarcations. Un mort aurait été découvert à bord d’une embarcation transportant près de 160 personnes, dont beaucoup souffraient de déshydratation. 

Au cours des dix jours précédents, plusieurs centaines de personnes ont débarqué aux Canaries, aux Baléares et au sud de l’Espagne. Le 2 novembre, au moins deux corps ont été retrouvés dans des embarcations arrivant sur les côtes espagnoles. Une personne a été retrouvée morte sur une embarcation secourue près de la Grande Canarie par les sauveteurs espagnols et la Guardia Civil. Le 4 novembre, une embarcation transportant 72 personnes a été secourue au sud de Tenerife, avec à bord un mort et trois personnes gravement malades. Selon leurs témoignages, ils étaient en mer depuis dix jours, après leur départ du Sénégal.

Près de 200 personnes sont portées disparues après deux naufrages survenus fin octobre dans l’océan Atlantique, en essayant d’atteindre les îles Canaries. On sait maintenant qu’au moins 140 personnes auraient trouvé la mort le 24 octobre dans ce que l’OIM a appelé le “naufrage le plus meurtrier de l’année”, au cours duquel une embarcation transportant près de 200 personnes a coulé au large du Sénégal (voir notre dernière édition de “Regards-sur-la-mediterranée-centrale“). Plus de cinquante personnes seraient également décédées dans un naufrage au large des côtes mauritaniennes, selon le témoignage de 27 personnes rescapées.