#23 Le bilan des morts s’alourdit en Méditerranée centrale, alors que les navires de recherche et de sauvetage sont toujours bloqués par l’administration et que les retours forcés vers la Libye culminent.

Cette publication de SOS MEDITERRANEE a pour but de faire le point sur les évènements qui se sont déroulés en Méditerranée centrale au cours des deux dernières semaines. Il ne s’agit pas de livrer une revue exhaustive des faits, mais plutôt de fournir des informations sur l’actualité de la recherche et du sauvetage dans la zone où nous opérons depuis 2016, sur la base de rapports publiés par différentes ONG et organisations internationales ainsi que par la presse internationale.

Plus de 570 personnes secourues par l’Ocean Viking et toujours pas de coordination des autorités maritimes 

Entre le 1er et le 5 juillet, l’équipe de SOS MEDITERRANEE à bord de l’Ocean Viking a porté secours à 573* personnes sur six embarcations en détresse dans les zones maltaise et libyenne de recherche et de sauvetage, en dépit de l’absence de coordination et de partage d’informations de la part des autorités maritimes. Parmi les personnes rescapées se trouvaient une femme enceinte et plus de 150 mineurs, dont deux souffrant de handicap. 

La plupart des personnes rescapées venaient du Bangladesh, d’Egypte, d’Erythrée, du sud Soudan, de Libye et du Soudan (Nord). L’une des opérations de sauvetage a été la plus importante réalisée par l’Ocean Viking depuis le lancement de sa première mission il y a deux ans : 369 hommes, femmes et enfants ont été retrouvé.e.s entassé.e.s dans une grande embarcation en bois, auparavant localisée par Colibri 2, l’avion de l’ONG Pilotes Volontaires. Les équipes de SOS MEDITERRANEE ne s’étaient jamais trouvées face à des embarcations de fortune d’aussi grande taille parties de Libye.  

Après 4 jours d’impasse et la montée de tensions à bord de l’Ocean Viking, – avec un homme désespéré sautant par-dessus bord, récupéré par notre équipe de sauveteurs-, les personnes rescapées ont finalement été autorisées à débarquer à Augusta, en Sicile.  Les opérations de débarquement ont duré deux jours et se sont terminées le 10 juillet. Selon Associated Press, la Commission Européenne s’est réjouie de la décision italienne d’attribuer un lieu sûr et a déclaré qu’elle était prête à coordonner la réinstallation volontaire des personnes rescapées dans d’autres pays européens. Le porte-parole de la Commission européenne, Adalbert Jahnz, a exhorté les Etats membres de l’UE à intensifier leurs efforts « dans un esprit de solidarité et de responsabilité partagée ». A ce jour, seul le Luxembourg a proposé d’accueillir une partie des 572 personnes secourues. 

Détention du navire Geo Barents de MSF : la plupart des bateaux des ONG humanitaires toujours empêchés d’agir.
A l’issue de sa première mission de sauvetage en Méditerranée centrale, au cours de laquelle il a secouru  410 personnes, le navire Geo Barents de MSF a été placé en détention administrative par les autorités maritimes italiennes les premiers jours de juillet. Selon l’organisation, « les autorités italiennes contestent l’aptitude du navire à mener des activités systématiques de recherche et de sauvetage et allèguent qu’il transportait trop de personnes à son bord ». MSF dénonce une « interprétation fallacieuse du droit maritime » ne tenant pas compte du fait que les opérations de sauvetage, conformément à l’obligation des capitaines de navire de porter assistance aux personnes en détresse en mer, sont considérées comme des situations de force majeure. Le 25 juin, après plus de deux mois de blocage, l’Open Arms a été libéré de sa détention administrative et est à présent amarré à Burriana, en Espagne, pour y subir des travaux de maintenance. 

Cette bonne nouvelle ne peut faire oublier que la plupart des navires d’ONG de recherche et de sauvetage restent empêchés d’accomplir leurs missions en Méditerranée centrale. L’Ocean Viking a été le seul navire de recherche et de sauvetage à prendre la mer ces deux dernières semaines. Depuis son départ, plus aucun bateau humanitaire n’est présent dans les zones de recherche et de sauvetage de Méditerranée centrale. 

Pendant que les garde-côtes libyens multiplient les interceptions, un avion de Sea Watch est témoin d’une interception violente et dangereuse.  

Depuis la dernière parution de Regards sur la Méditerranée centrale, il y a trois semaines, plus de 1 600 personnes en détresse en mer ont été interceptées par les garde-côtes libyens. Près de 950 femmes, hommes et enfants ont été intercepté.e.s pour la seule période du 27 juin au 3 juillet. Entre le 1er et le 3 juillet, l’équipe de SOS MEDITERRANEE à bord de l’Ocean Viking a retrouvé cinq embarcations en bois vides, qui avaient été interceptées par les garde-côtes libyens dans la zone maltaise de recherche et de sauvetage. Les personnes interceptées par les garde-côtes libyens, soutenus par l’UE, sont ramenées vers un cycle indicible de violences et d’abus, alors même que les institutions internationales reconnaissent que la Libye ne peut pas être considérée comme un lieu sûr. Ces retours forcés illégaux doivent cesser de toute urgence. 

De plus, une vidéo diffusée le 1er juillet par Sea Watch montre une tentative d’interception violente et dangereuse. Un navire patrouilleur libyen est filmé en train de tirer des coups de feu en direction d’une embarcation en détresse dans la zone maltaise de recherche et de sauvetage, manquant à plusieurs reprises de la faire chavirer. Après la diffusion de ces images, des procureurs siciliens ont demandé au ministère italien des Affaires étrangères l’autorisation de lancer une enquête sur ces événements, pour faire la lumière sur des allégations de « tentative de naufrage ».
Selon Avvenire, les Garde-côtes libyens ont aussi ouvert une enquête interne, reconnaissant que leur navire patrouilleur avait « mis en danger les vies [des migrants en détresse], ainsi que celles des membres d’équipage du navire patrouilleur ». Selon Avvenire, c’est aussi la première fois qu’un navire des Garde-côtes libyens se déplaçait aussi loin au Nord dans la zone maltaise de recherche et de sauvetage, à plus de 110 miles du port de Tripoli et seulement 45 miles de Lampedusa.  

Un rapport de Felipe Gonzalez Morales, Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits humains des migrants, consacré aux « moyens de mesurer l’impact sur les droits humains des renvois forcés illégaux des migrants à terre et en mer », a été présenté lors de la 47e session du Conseil des droits humains des Nations Unies. Selon ce rapport, « les renvois forcés représentent des violations des droits humains incompatibles avec l’obligation des Etats de respecter les lois internationales sur les droits humains, en particulier l’interdiction des expulsions et des refoulements collectifs ».       

Arrivées autonomes et naufrages dramatiques au large de la Tunisie, de la Libye et de l’Italie, avec des corps échoués sur les rivages libyens. 

Cinq naufrages au large de la Tunisie, de la Libye et de l’Italie ont causé la mort de 78 personnes ces dernières semaines. Au moins 20 personnes sont décédées lors de deux naufrages au large de la Tunisie et de la Libye le 12 juillet. Le 3 juillet, pas moins de 43 personnes ont péri au large des côtes tunisiennes en tentant de traverser la Méditerranée centrale entre la Libye et l’Italie, alors que 84 autres personnes ont été secourues. Huit autres corps ont été retrouvés dans un bateau qui avait coulé la veille au large de Sfax, alors que 13 rescapé.e.s qui se trouvaient à bord du même bateau ont été secourues par la marine nationale tunisienne. Ces événements dramatiques se sont déroulés quelques jours seulement après un naufrage au large de l’île italienne de Lampedusa qui a coûté la vie à au moins sept femmes qui se sont noyées alors que dix autres personnes ont été portées disparues. 

Selon  l’organisation Internationale pour les migrations (OIM), 30 corps au moins se sont échoués sur les rivages libyens depuis le 20 juin. Ce sinistre décompte de continuelles tragédies met en relief les conséquences mortelles de l’absence d’opérations efficaces et légales de recherche et de sauvetage pilotées par les Etats en Méditerranée centrale. Le 14 juillet l’OIM a publié un rapport “Morts de migrants sur les routes maritimes vers l’Europe en 2021″. Le rapport indique que ” le nombre de personnes qui ont tenté de traverser la mer Méditerranée pour rejoindre l’Europe au cours des six premiers mois de 2021 a augmenté de 58 % par rapport à la même période en 2020 “. Le nombre de décès parmi les personnes qui tentent la traversée a plus que doublé au cours du premier semestre de 2021 par rapport à la même période de l’année dernière.

Le Times of Malta rapporte également que trois personnes sur 87 sont mortes à bord d’un canot pneumatique qui était à la dérive dans la région de recherche et de sauvetage de Malte depuis au moins un jour. 84 personnes ont été secourues par les forces armées maltaises tard dans la nuit de mardi à mercredi après qu’un appel d’Alarm Phone eut signalé ce cas de détresse tôt le mardi matin. Les décès sont probablement dus à la déshydratation, à l’épuisement et aux fortes chaleurs. Une autopsie et une enquête sur l’affaire ont été lancées par les autorités maltaises.
Ces derniers jours, bien que surchargées et totalement impropres à la navigation, quelques embarcations en détresse ont réussi à s’approcher des côtes italiennes et ont été secourues par les autorités maritimes italiennes, ou sont arrivées de manière autonome. Le 13 juillet, sept embarcations pneumatiques ont touché terre en quelques heures, avec un total de 104 personnes en provenance de Tunisie. Plus de 550 personnes ont atteint l’île de Lampedusa le 7 juillet à bord de quatre embarcations différentes. L’une des embarcations secourues, un bateau de pêche, transportait 420 hommes, femmes et enfants.

*Au cours du débarquement des rescapé.e.s à Augusta, en Sicile, les autorités italiennes  ont dénombré 573 rescapé.e.s. (et non 572 comme annoncé précédemment par l’équipe de SOS MEDITERRANEE à bord de l’Ocean Viking).

Crédit photo : Flavio Gasperini / SOS MEDITERRANEE