“Les chances de trouver des survivants sont maintenant proches de zéro” Julia, chargée de communication à bord
9 octobre 2020

Survivants éventuels autour d’une épave ballotée par les vagues, embarcations en détresse en pleine nuit, minuscules esquifs surpeuplés… La recherche en mer est complexe et parfois angoissante, mais elle fait partie intégrante de la mission des équipes de secours en mer. Un an après, Julia, chargée de communication à bord de l’Ocean Viking, revient sur trois opérations qui l’ont particulièrement marquée.

Vaine recherche de survivants parmi les vagues

Le matin du 7 octobre, alors qu’il fait route vers la zone de recherche et de sauvetage en Méditerranée centrale, le navire de SOS MEDITERRANEE offre son aide au Centre de coordination des secours maritimes italien (MRCC).  La veille au soir, au sud de Lampedusa, un bateau en bois avec une cinquantaine de personnes à bord a chaviré. 22 personnes ont été secourues, 13 corps ont été repêchés pendant la nuit. Les rescapés rapportent qu’il y a plusieurs enfants parmi les disparus.

L’Ocean Viking met le cap sur la position indiquée par les autorités italiennes : l’équipe scrute la surface de l’eau et l’horizon aux jumelles. Les conditions sont particulièrement mauvaises : vagues de trois mètres de haut, vent à 35 nœuds… À la tombée de la nuit, les recherches, jusqu’alors infructueuses, doivent être interrompues. Le jour suivant, un nouveau secteur nous est affecté et la recherche reprend… Peine perdue, nous devons finalement abandonner les recherches le cœur lourd : les vagues sont trop hautes pour manœuvrer le navire adéquatement. Les chances de trouver des survivants sont maintenant proches de zéro. Un coup dur pour l’équipe de secours, qui n’avait pas perdu espoir jusqu’à la fin. Quelques jours plus tard, la triste certitude s’impose : des plongeurs ramènent les douze dernières victimes de la catastrophe des fonds marins.

Julia Schaefermeyer / SOS MEDITERRANEE

Alerte dans l’obscurité par mer agitée 

Le 12 octobre, un e-mail nous signale un bateau en détresse avec 74 personnes à bord à environ 40 milles nautiques. La durée estimée du trajet jusqu’à sa dernière position connue est de trois à quatre heures. Le crépuscule tombe alors que nous faisons route.

Il est extrêmement difficile de trouver les petits bateaux dans cette immense zone de la Méditerranée où nous opérons, même en plein jour. Lorsque la dernière position connue d’une urgence en mer remonte à plusieurs heures, des calculs s’imposent pour déterminer la position approximative de l’embarcation et le cap à mettre… Savons-nous si le moteur fonctionne encore? Comment est le vent ? Quel est le cap de l’embarcation en détresse? La recherche d’un bateau est toujours un défi, à plus forte raison dans l’obscurité. Sur ces frêles esquifs où s’entassent les personnes qui essaient de traverser la Méditerranée depuis la Libye, la seule source de lumière est souvent la lampe des téléphones portables des naufragés.

Selon nos calculs, le bateau devrait être situé près de la plate-forme pétrolière d’Al Jurf, à une bonne cinquantaine de milles nautiques des côtes libyennes. La proximité de la plate-forme pétrolière pose un nouveau problème lié à la multitude de sources lumineuses : les bouées de navigation, l’énorme navire FPSO (une unité flottante de production et de stockage), les flammes sur les plates-formes… Or en ce soir du 12 octobre, la mer est très « agitée » comme on dit dans le langage des marins. Nous localisons des lumières qui montent et descendent près de la surface de l’eau : serait-ce le bateau en détresse ?

Stefan Dold / MSF

Soudain, nous recevons un message radio de la part du capitaine du navire FPSO : « Bonsoir Ocean Viking ! J’ai un visuel sur une embarcation en détresse. Venez à la rescousse ! » Le capitaine donne l’autorisation à notre navire de s’approcher à un mille nautique du petit bateau et de mettre à l’eau les canots de sauvetage (RHIB).

Du fait de la faible hauteur des RHIB, la visibilité est si mauvaise que nous devons être guidés depuis la passerelle du navire. Alors que l’on aperçoit le canot pneumatique surchargé sur cette mer noire, une forte odeur d’essence nous parvient. Nous craignons que les personnes à bord aient subi de graves brûlures de la peau en raison du mélange d’essence et d’eau salée à l’intérieur du bateau. Pour l’heure, il est évident qu’ils ont inhalé des vapeurs d’essence : désorientés, ils ne semblent pas nous comprendre, bien qu’ils parlent le français et l’anglais. On peut difficilement demander s’il y a des blessés ou des personnes inconscientes à bord. Les naufragés sont effrayés – on ne peut qu’imaginer ce qu’ils ont vécu pendant que leur bateau inutilisable dérivait dans l’obscurité totale au milieu du paysage menaçant du champ pétrolifère.

Une fois la situation maîtrisée et les gilets de sauvetage distribués, le transfert des 74 personnes vers l’Ocean Viking commence. Tandis que le plus grand canot de sauvetage, « Easy 1 », ramène les 25 premières personnes vers l’Ocean Viking, le canot de sauvetage « Easy 2 » où je prends place demeure aux côtés des rescapés qui attendent leur tour dans le bateau en détresse. Les membres de l’équipage calment les rescapés de leur mieux. Une demi-heure avant minuit, le sauvetage est enfin terminé. L’équipage est épuisé, mais soulagé.

Course contre la montre : bateaux pneumatiques surpeuplés

Stefan Dold / MSF

Les 13 et 18 octobre, nous allons devoir secourir deux bateaux pneumatiques où s’entassent une bonne centaine de personnes chacun – dont des femmes enceintes près du terme, des nourrissons et des enfants en bas âge. Il fait plein jour, mais le temps presse.

Sur ces bateaux surchargés, le risque d’écrasement ou d’étouffement lors de la distribution des gilets de sauvetage augmente. En outre, ces bateaux gonflables en piètre état sont imprévisibles : les boudins peuvent soudainement éclater et la structure du bateau peut s’effondrer sous le poids des occupants. Nous évacuons donc les femmes et les enfants dans un premier temps à l’aide des canots de sauvetage.  Puis, nous transférons 15 hommes sur un radeau pneumatique que nous avons placé à proximité de leur embarcation, réduisant ainsi la charge du bateau. Cela, espérons-nous, diminuera le risque pour les plus faibles d’être écrasés ou étouffés au cours du sauvetage. La stratégie fonctionne, et tous les rescapés peuvent enfin être ramenés sains et saufs à bord de l’Ocean Viking.

Julia Schaefermeyer / SOS MEDITERRANEE

Crédit photo de couverture : Fabian Mondl / SOS MEDITERRANEE